Réunir mille barbus d’origine, de confession, de profession et de style différent, c’est le défi que s’est lancé le photographe Olivier Vinot en réalisant Festina Lente, une série de portraits en noir et blanc sans retouche. Il expose les 400 premiers aux Studios de Paris, l’occasion pour nous de découvrir ce projet artistique, aussi original qu’engagé.
Men are Delicious : Comment l’idée de ce projet est-elle née ?
Olivier Vinot : Au début je n’avais pas de notion de nombre et ma motivation est née d’une frustration. En tant que photographe professionnel, je suis le premier à retoucher mes photos pour mes clients, sur les shooting beauté par exemple et j’y prends même un certain plaisir. Mais je me suis rendu compte, que de plus en plus, quand quelqu’un me demande de réaliser son portrait, en réalité, il ne veut pas vraiment d’un portrait de lui. Il veut un portrait de l’idéal qu’il a de lui. Qu’on ait envie d’avoir de temps en temps une belle photo de soi, d’être valorisé, je comprends tout à fait. Pour moi, c’est un peu comme mettre une belle tenue pour une occasion exceptionnelle. Mais avec les réseaux sociaux corriger, façonner notre image, est devenue la règle. On retouche même les selfies aujourd’hui ! Quand j’ai commencé la photo, ce qui m’intéressait dans le portrait c’était sa dimension “témoignage” : rendre compte d’un moment de vie, révéler une personnalité. C’est ce qui m’a motivé à entreprendre des études de photo. 20 ans plus tard, c’est pour la même raison que j’ai réalisé ce projet.
Men are Delicious : un retour aux sources, en quelque sorte ?
Olivier Vinot : oui, c’est le point de départ du projet sans retouche.
Men are Delicious : pourquoi 1000 barbus ?
Olivier Vinot : En écoutant la radio, en feuilletant les magazines, en regardant les publicités dans le métro, je me suis rendu compte qu’on nous donnait à voir une image très stéréotypée des barbus. Pourtant un homme sur deux en France l’est et ceux que je croise dans la rue tous les jours, sont tous très différents. C’est pour montrer cette diversité que j’ai décidé d’en photographier un grand nombre. Ça ne m’intéressait pas de choisir des barbes démonstratives. D’autres photographes l’avaient fait avant moi et c’était en contradiction avec l’esprit même de “sans retouche”. Je voulais un projet auquel les gens peuvent réellement s’identifier. Je pense que notre problème avec notre image vient en partie du fait qu’on ne peut pas s’identifier à celle qu’on nous propose dans les médias. Je me suis donc dit que le meilleur moyen d’être représentatif, c’était d’en photographier beaucoup. 1000, comme pour les sondages d’opinion !
Men Are Delicious : comment as-tu sélectionné les 400 premiers ?
Olivier Vinot : Je n’ai fait aucune sélection et je vais continuer comme ça pour les suivants. Tant que je ne serai pas arrivé au millième, à toutes les personnes qui voudront participer, je dirai oui .
Men are Delicious : Si l’idée est de montrer la diversité, pourquoi les avoir fait poser tous dans la même tenue et avec la même expression ?
Olivier Vinot : J’ai voulu qu’à la première lecture, ça paraisse impersonnel. Le choix du tee-shirt blanc pour tout le monde c’est pour gommer les code sociaux, religieux ou culturels. Pour l’attitude, je voulais créer une vraie uniformité pour qu’il n’y en ait pas un qui attire plus l’oeil qu’un autre. Mais quand on les regarde à titre individuel, ce qui ressort c’est une vraie intention dans le regard. Cette apparente unicité, ça oblige finalement à regarder chacun d’entre eux. D’ailleurs la première personne qui est entrée dans la galerie m’a demandé “mais qui sont ces gens ? “. Et là, je me suis dit, c’est gagné. Pour moi, en tout cas, c’était gagné. Ça veut dire que c’est d’abord les personnes que l’on voit, avant l’image. Le seul moyen de savoir qui ils sont, c’est de les rencontrer. Certains pensent que je suis allé à droite et à gauche pour avoir une telle diversité, mais non ! La diversité existe au coin de la rue, mais on ne la voit plus. C’est ce que je voulais démontrer à travers ce projet…
Men are Delicious : et quel est le rôle de la barbe finalement dans tout ça ?
Olivier Vinot : Ma motivation au départ était de prendre des hommes en photo et il se trouve que le premier était barbu… La barbe, c’est presque un prétexte. Je pense qu’on vient voir des barbus et finalement on découvre des personnes. On s’intéresse à l’individu, qu’il soit barbu ou non…
Exposition à lieu du 10 au 15 novembre 2015, aux Studios de Paris, 54 rue des 3 frères, Paris 18e, de 11h à 19h.
Pour en savoir : Festina Lente